Enfermés, isolés, parfois affamés... Certains étudiants de l’université d’Orléans ont vécu toute la période de confinement dans leurs chambres et studios. Pour le meilleur ou pour le pire, cette crise a révélé la grande précarité de certains jeunes. Des enseignants du Collegium Sciences et Techniques ont pris les devants pour les aider. Depuis, leur engagement a pris de l'ampleur et les réflexions pour le long terme se mettent en place.
Le confinement passé dans une chambre de quinze mètres carrés. Parfois moins. Des étudiants confinés sur le campus, on en trouve à la pelle dans les résidences du Crous d'Orléans-Tours, depuis la décision prise par les autorités pour lutter contre la Covid-19.
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"En un jour, le campus entier s’est transformé en Zombieland", plaisante Prem Chand Pavani, étudiant indien habitant aux Dahlias. Sa chambre est devenue, en un clin d’œil, un antre de solitude. "Mon corps et mon esprit ne pouvaient pas faire face à tous les changements soudains de la vie quotidienne. Cela a causé beaucoup de stress", confie-t-il. "Certains jours, je n’étais vraiment pas motivé pour faire quoi que ce soit. D’autres jours, je ne pouvais pas m’endormir. Je me réveillais à midi et j’avais encore sommeil toute la journée. Je me suis rendu compte que j’étais déprimé et que j’avais besoin de prendre soin de moi."
Il n'est visiblement pas le seul. La start-up Diplomeo, spécialisée dans les questions d'orientation, évalue à 19% la proportion des 16-25 ans en France qui ont du mal à suivre leurs cours en ligne, et à 15% ceux qui ont des problèmes de connexion ou de matériel. Nationalement, on se situe entre 5% et 10% d'étudiants en "rupture numérique", d'après Pierre Allorant. Le directeur du collegium Droit, Économie et Gestion cite des chiffres évoqués au cours de la conférence des présidents d'université.
Certains étudiants sont plus seuls que d’autres
Entre ceux qui ne disposent pas d'un ordinateur et ceux qui peinent à se connecter, dans des zones blanches par exemple. Chloé Guillin, résidente des Magnolias, a plus de chance : son compagnon a pu la rejoindre juste avant le confinement. Un petit 18 mètres carrés, les volets cassés durant les deux premières semaines, sans lumière naturelle… Vous avez dit glauque ? L’espace est restreint pour deux, mais l’étudiante lyonnaise préfère cela à la solitude : "Ça fait du bien d’avoir une personne avec nous !"
Un étudiant anonyme exprime, lui, son malaise sur l’"état déplorable et invivable" de la résidence des Hêtres. "Il y a des étudiants confinés dans des logements de 9 mètres carrés, et qui doivent partager la cuisine, la douche et les toilettes. L’odeur, je n’en parle pas. Ça donne envie de vomir. (...) Un être humain qui vit ça, ce n’est pas acceptable !"
Quelques-uns doivent composer avec des ressources financières très limitées. Les extracommunautaires semblent être les plus confrontés à la pauvreté. Certains ont dû s’acquitter de frais d’inscription très élevés et doivent payer loyer, charges, forfait téléphonique... Les achats de nourriture et de produits d’hygiène en pâtissent.
Un sondage lancé par Lucile Mollet, maître de conférences en biochimie, auprès de ses étudiants, l’a démontré. Sur 368 personnes interrogées entre le 27 et le 31 mars, 55,2% estiment que leur moral s’est dégradé depuis le confinement. Mais l’enseignante a surtout été ulcérée d’apprendre que 7,3% de ces étudiants n’arrivaient plus à se nourrir normalement.
Des enseignants prennent le problème à bras le corps
Lucile Mollet a donc pris les devants avec quelques collègues, proposant de leur apporter des produits de première nécessité. "Certains sont obligés de travailler pendant leurs études. Tout s’est effondré pour eux avec le confinement", constate une professeure qui s’est intégrée au dispositif. Cette dernière s’est mise en relation avec une étudiante étrangère qui a perdu ses ressources depuis la fin de son intérim. De quoi broyer du noir dans son sombre 15 mètres carrés. Jusqu’à cet appel téléphonique et cette petite phrase lumineuse : "De quoi avez-vous besoin ?"
Ouf de soulagement... "Elle n’aime pas trop le riz. Elle mange aussi halal, alors du jambon, ça n’aurait pas été une bonne idée", note la pédagogue. Pâtes, yaourts, bananes, produits d’hygiène... Elle ne lésine pas. "Elle a même ajouté des choses. C’est gentil de sa part. Je me sens moins seule", sourit l’étudiante. L’enseignante est allée jusqu'à lui fournir un ordinateur, prêté pendant le temps du confinement. "On fait à la mesure de nos moyens", relativise la chercheuse. "C’est une petite pierre à l’édifice."
Depuis, le dispositif n'a fait que s'accentuer. Les enseignants, aidés par le Collegium Sciences et Techniques (CoST), organisent une distribution tous les mercredis, depuis le 22 avril dernier, sans distinction de filière pour les bénéficiaires. La première journée a d'ailleurs attiré tellement d'étudiants qu’une trentaine ont dû repartir sans rien sur les près de 80 jeunes qui s’étaient alors déplacés, selon Ary Bruand, le président de l'université.
Des distributions d'ampleur et une association pour "le long terme"
Depuis, les files d'attente se font toujours plus imposantes, mais les colis se sont aussi multipliés. Les bénévoles sont aidés par des associations comme l'Inner Wheel Club (rotary féminin), des structures telles que le centre hospitalier régional de La Source ou d'autres entreprises comme la laiterie de Saint-Denis-de-l'Hôtel. Tout ce petit monde intervient au sein d'une opération baptisée "O solidarité étudiants".
D'autres distributions s'effectuent aussi au restaurant universitaire Le Lac, dépendant du Crous (Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires). Des dons de colis à l'initiative de la Croix-Rouge et de la Banque alimentaire. Quelques cartes d'achats sont également distribuées pour que des jeunes puissent acheter des produits de première nécessité. Le dispositif est financé par les fonds propres de l'université, ainsi que par une contribution du Rotary Club Orléans : 50 euros dans les magasins Carrefour et 50 euros dans les enseignes Leclerc. Le Crous met le même dispositif en place pour des achats auprès du groupe Carrefour, à hauteur de 100 euros.
La prise de conscience de l'urgence a amené les enseignants du CoST à créer un collectif appelé O'SEM (Orléans soutient les étudiant·e·s du monde). Il est destiné à se transformer par la suite, en association, "afin de pérenniser ces actions sur le long terme". Une réflexion d'autant plus importante que le campus orléanais ne dispose pas d'installations fortes destinées à combattre la précarité, telles qu'une épicerie solidaire par exemple.
Les chantiers pour l'avenir sont importants. La Covid-19, malgré tous les tracas qu'elle peut occasionner, a peut-être eu le mérite de recentrer l'attention sur les étudiants fragiles.
Thomas Derais
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